Motte ‘n’ Jeff (Dialogue automatiste niais) : Ze feuilleton.
Deuxième partie : Inch Allen !
Armelle fixa le coin du drap ontologique de nos amis, à la maison, comme un ange qui passe, la fixation de coins de draps de leur bonne étant toujours signe d’une montée de grandes vexations… Ainsi donc, pendant ce temps, déhors :
Motte -
Jaloux. Tout ce qui est talentueux te vexe. Jalousie crasse.
Jeff -
Faux. Joe Dassin, par exemple, voilà un spécimen de talent rare s’il est un. Bien, Joe Dassin, je te le dis en mille, j’en suis pas jaloux. Voilà !
Motte -
C’est parce qu’il est mort. Et puis, tu as le talent assez facile, il me semble. Peut-être n’es-tu jaloux que du talent vivant ?
Jeff -
Quoi ? Il est mort ? Quand ça ? Comment ? s’affola Jeff.
Motte -
N’importe quoi ! soupira la grosse tête du roux. Bien sûr qu’il est mort ! De quoi, qu’en sais-je, moi ? De syphilis, je suppose… Peut-être de la sida ? Et puis ne change pas de sujet. Le talent vivant t’horripile, avoue ! Le grand épouvantail n’arrêtait pas de pleurer en apprenant la mort de son idole. Avec émoi et moult gestes, ainsi en marchant de sa démarche lancinante, il avait l’air affecté d’une crise d’épilepsie au ralenti. Entre les larmes, il continuait :
Jeff -
Comment pouvais-je savoir qu’il trépassait dans le stupre, et en conséquence, n’en être point jaloux ?
Motte -
Je suis sensé te comprendre, là ?
Jeff -
Mais enfin, puisque j’ignorais mon deuil à son sujet, comment pouvais-je ainsi légitimiser ma non-jalousie, pour cause de mort, à son sujet ? De toute façon, mort ou vif, il est talentueux et j’en suis point jaloux, conclut-il en reprenant sur lui.
Motte -
Je persiste à te croire allergique au talent, toi, « L’Art, le Sexe et la Mort ».
Jeff -
Ben voyons donc, Woody Allen est un vieux sénile qui oublie qu’il avait déjà fait ce qu’il refait avec des fonds dont je redouterais la provenance mafieuse. Il y a plein de gens talentueux dont j’admire l’excellent travail artistique. Motte - Bien sûr, ironisa notre petit bonhomme roux.
Jeff -
Prends, outre Joe Dassin, Groucho Marx, par exemple. Voilà un artisan du cinéma dont on peut vanter le talent, l’imagination, la folie, bref, l’Art subtil de l’humour décapant.
Motte -
C’est un autre macchabée.
Jeff -
Non ?
Motte -
Si!
Jeff -
Bien, voyons ! J’ai vu un de ses films pas plus tard qu’hier !
Motte -
D’une rigidité cadavérique, que je te dis ! Tous les films noir et blanc sont faits par des morts. Méfie-toi.
Jeff -
O.k., Dalida, d’abord.
Motte -
Mort… ou morte, enfin…
Jeff -
Non ?
Motte -
Je te l’assure. Cimetière Montparnasse.
Jeff -
Hum… Andy Warhol ?
Motte -
Mort !
Jeff -
John Lennon ?
Motte -
Assassiné !
Jeff -
Denis Drouin ? Brian Jones ? Émil Ajar ?
Motte -
Crise de cœur ! Noyé ! Suicidé !
Jeff -
Voyons donc !?! Incrédulait-il entre les sanglots. C’est que toutes ces morts le peinaient grandement… Charles Beaudelaire ? Klaus Nomi ? Henry Miller ? Piotr Tchaikovski ? Mishima Yukio ? Keith Harding ? Juliette Huot ? Freddy Mercury ? Alfred Hitchcock ? Lady Di ? Harpo Marx, il n’est pas mort, lui au moins ? Laissez-moi au moins Chico !?! Jimi Hendrix ? Roy Lichtenstein ? Charles Bukowski ? Anaïs Nin ?
Motte -
Tous morts !
Motte reprenait, en définition, du mieux. Il s’amusait à tourmenter ainsi son copain de tout cet éventail de morts soudaines. Le grand gaillard s’effondrait de plus en plus. Une grande partie complète de son univers versait soudainement dans de nombreuses sépultures, vers la mort, vers le néant, vers l’oubli. Il lui semblait avoir été tenu en vie artificiellement, et que toutes ces morts le ramenaient à une réalité qu’il ne connaissait pas, qui lui échappait…
Jeff -
Je ne peux le croire…
Motte -
Allez, allez, il en reste sûrement un ou deux que tu connais qui vivent toujours, à l’encontre de toute probabilité…
Jeff -
Euh… Liberace ? Igor Stravinski ? Marc Gélinas ?
Motte -
J’ai le regret de t’apprendre leur décès, à tous. Je n’y peux rien : tu aimes le mort, le froid, le marbre, la nuit.
Jeff -
Tu exagères, quand même !
Motte -
Bien non, c’est ça le drame, dit-il le sourire à la bouche, je ne puis être plus sérieux. T’es un vrai Vertigo, un fossoyeur, un nécrophile assoiffé de sexe et de sang.
Jeff -
J’en reste coi.
Motte -
Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. Démonstration de la preuve par l’absurde, mon cher. Voyons maintenant les vivants… N’aimes-tu pas Céline Dion, Vladimir Poutine, Oliver Stone, Yannick Marjot ou Renny Harlin?
Jeff -
Misère… Je les haïs tous avec passion. Tu triches, j’en suis sûr. Attends, je vais t’en trouver quelques vivants que j’admire…
Ici et maintenant, inlassablement, le temps fait son œuvre, effectue ses ravages, érode les visages et les esprits, alors que des dizaines de neurones meurent et des milliers de micro-organismes crèvent et vivent en nous, sur nous, parasites témoins de ce temps qui nous file entre les doigts, comme Madeleine qu’on attend tous, qu’on n’attend plus, dans notre âme meurtrie, alors que nos cœurs jadis jeunes s’emmurent, se protégeant des afflictions sentimentales qui pleuvent de plus en plus sur nous, nous qui demeurons toujours seuls, nous sommes toujours seuls, même quand on l’est pas, seuls avec nos mains sales, nos joies pour toujours évanouies, la passion assassinée, la recherche du Saint-Graal justifiant notre existence, le sens à donner sans boussole et encore et toujours seuls, incapables d’autre chose que d’errer, n’ayant compris quelque chose à notre misère éternelle, seuls, encore et toujours, écœurés, fatigués, suicidés mais vivants, pendant que les secondes passent, le vent sifflant, perpétuellement plus froid, plus dur, dans nos cheveux qu’il arrache, révélant la calvitie qui cache ces fameux neurones morts qui pourrissent dans notre crâne, tandis que les vers commencent déjà à nous cancériser le corps, le cœur et l’âme…
Motte -
J’attends toujours, s’impatienta le roux personnage.
Jeff -
Je… je ne sais pas, je ne sais plus…
À suivre…
____________________________________
Tekst alzo für coïtus impromptus